Le débat actuel sur les ZFE repose sur un grand contresens, une erreur, une instrumentalisation politicienne ou peut-être même un mensonge : il n’y aurait que deux camps. Les gentils défendraient la ZFE et les méchants seraient d’abjects démagogues trumpistes complices de la pollution. C’est totalement faux.
En effet, les ZFE ne sont qu’une solution parmi d’autres pour lutter contre la pollution. La preuve en est que cette pollution a considérablement diminué depuis plus 20 ans (entre -20 et -80% selon les polluants) – c’est-à-dire bien avant l’installation des ZFE. C’est donc bien qu’il existe d’autres manières d’agir et qu’elles sont efficaces.
Certaines sont pertinentes, d’autres moins. Et on doit pouvoir en discuter. Le meilleur exemple en est les péages urbains, sur le modèle de ce qui se fait à Londres : un forfait à acquitter quand un véhicule thermique entre dans le centre-ville. Le dispositif est relativement efficace. Mais il existe en France un consensus contre cette solution qui est jugée discriminatoire. C’est ainsi qu’Anne Hidalgo, par exemple, a affirmé à de nombreuses reprises qu’elle ne voulait pas « un péage qui interdise aux habitants de la banlieue de rentrer dans Paris« . Pourtant, les ZFE exercent leur action de manière similaire et les arguments contre les péages pourraient être utilisés contre les ZFE. Ils ne le sont pas, ce qui pourrait étonner. Quoiqu’il en soit, cet exemple montre que tous les dispositifs ne se valent pas, et que l’on peut en critiquer un en particulier sans pour autant être du côté des pollueurs.
Certes, on peut comprendre une forme d’acharnement gouvernemental à défendre une mesure qu’il a mise en place. Mais il faut savoir reconnaître ses erreurs. Parfois, il faut abandonner un dispositif, même construit de bonne foi, s’il s’avère contreproductif. C’est ainsi que les aides à l’achat des véhicules diesel, l’un des dispositifs phares du Grenelle de l’environnement, ont été supprimées quand on a compris qu’elles étaient nuisibles. Ce qu’on a fait sur le diesel, on ne pourrait pas le faire sur les ZFE ?
Les transports en commun
Manquerait-on d’alternative ? Pas du tout. Encore une fois, les mesures pour lutter contre la pollution sont nombreuses et variées. La première d’entre elles est bien connue de tous, et consiste à encourager les mobilités alternatives. Il s’agit d’améliorer, encore, les transports en commun : étendre le réseau, renforcer la sécurité (en particulier pour les femmes), améliorer l’offre en général. C’est ce que fait la région Ile-de-France avec la création de dizaines de nouvelles stations de métro ou de tramway en proche couronne en quelques années. Cela coûte énormément d’argent mais l’enjeu est majeur ! Cela permet de diminuer la pollution et d’améliorer la mobilité de tous – alors que les ZFE la restreignent … Pourquoi ce sujet est-il absent des discussions ?
Encourager le développement du vélo est une autre piste bien connue. Et pour donner encore un exemple régional, l’Ile-de-France a construit, avec les collectivités et les associations, plus de 300 kilomètres de pistes en quelques années. Toujours sur les mobilités, distinguer particuliers et professionnels est essentiel, et mettre en place des dispositifs spécifiques sur la logistique urbaine et les flottes professionnelles est très important.
Un autre ensemble d’idées repose sur une diminution du besoin de mobilité. Un jour de télétravail par semaine, c’est 20 % de transport professionnel en moins : plus que n’en fera probablement la ZFE ! Et comme l’ont montré les dernières années, c’est facile à mettre en œuvre.
N’oublions pas l’urbanisme
Une autre approche décentre le regard sur la question de l’habitat pour remonter aux causes du problème : le fait que les gens ne peuvent plus se loger en cœur d’agglomération à cause des prix de l’immobilier. C’est le cas dans les deux métropoles de Paris et de Lyon qui restent concernées par des dépassements des niveaux règlementaires de pollution.
Aider celles et ceux qui doivent faire plus d’une heure de transport tous les matins, consisterait à dé-métropoliser, c’est-à-dire renforcer une pluralité de villes secondaires dynamiques qui peuvent chacune attirer emploi et logement. C’est ce que prévoit le schéma directeur de l’Ile-de-France (SDRIF-E) qui encourage l’émergence d’une région « polycentrique ». Il est vrai que, comme toute stratégie urbanistique, c’est long et complexe.
On pourrait également réformer la gestion des logements sociaux pour les attribuer en priorité à cette « première ligne », infirmières, aides-soignants ou maîtres d’école que l’on a célébrés pendant la COVID. S’ils peuvent enfin habiter à coté de leur emploi, ils n’auront plus besoin de leur voiture qui pollue pour aller au travail, ils gagneront 2 heures de vie par jour, et on brisera la ségrégation sociale entre Paris et sa banlieue. L’idée avait – en substance – été proposée par Valérie Pécresse pendant la campagne présidentielle.
Il faudrait encore évoquer les actions sur le chauffage urbain – responsable de plus de la moitié des émissions de particules-, sur l’industrie et l’agriculture. Mais une chose est certaine : les ZFE ne sont ni la seule, ni la meilleure des méthodes pour lutter contre la pollution de l’air. On doit donc pouvoir les critiquer, y compris au nom de l’écologie. La colère et les difficultés populaires, exprimées en particulier par le mouvement des « Gueux », doivent être entendues et discutées. Malheureusement, les défenseurs des ZFE préfèrent souvent s’enfermer dans les anathèmes plutôt que de le reconnaître ou d’envisager les alternatives. De ce fait, ils ne peuvent pas concilier écologie et social. Mais ce n’est pas parce que c’est impossible, c’est parce qu’ils raisonnent de travers.
Article paru dans Atlantico le 24 main 2025.